Hamid Qabbal est un des jeunes romanciers marocains qui viennent de se frayer un chemin dans l’art et la littérature maghrébine anglo-saxonne.
Son écriture se caractérise par sa prédilection du patrimoine culturel marocain.
« Head of mule » est son premier roman. C’est une vision interne qui trace le parcours du narrateur/personnage de l’enfance à la maturité.
La structure du roman obéit à un schéma classique. La situation initiale nous fait découvrir « tête de mule » (le narrateur/personnage) partagé entre maison et école : un espace dominé par la mère et un autre où le pouvoir est légué au maître (l’instituteur).
Deux topos donc qui incarnent la contrainte, la soumission et l’idéologie. Ces trois concepts, comme le découvrira tout lecteur du roman, se taillent la part du lion dans le texte de Qabbal. C’est pour cette raison que la présente étude tiendra compte de l’intérêt de telles notions dans l’épanouissement d’un personnage évoluant dans une culture en pleine métamorphose, un personnage dont le nom suggère d’emblée l’entêtement et le rejet.
Le rejet est un élément majeur qui sillonne le roman du début à la fin.
« Tête de mule », comme beaucoup d’autres enfants, ne se plient pas aux exigences du système éducatif. Le recours avec quelques camarades de classe aux farces et au harcèlement de leur instituteur, notamment dans le milieu rural, peut être lu comme un désir de rester libre, loin des contraintes idéologiques imposées par l’école ; cet espace qui reflète la société en miniature et prépare les enfants à s’y intégrer en respectant les dogmes de la vie sociale. Autrement dit, à se soumettre aux lois de la vie en société comme l’entend Jean Jacques Rousseau dans son « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes ». Le rejet, cependant, ne reflète pas uniquement le profil de l’élève. L’instituteur rejette le programme et opte pour des projections de films. La démarche motive les élèves qui sont mêmes prêts à payer pour voir les films présentés par leur instituteur « Ali ». Il est vrai que cette conduite de l’enseignant peut-être jugée immorale. Toutefois, nous pouvons noter que le recours aux méthodes audiovisuels dans l’enseignement peut être fructueux. Le film en tant qu’histoire à « lire » est riche en enseignements. Il faut seulement que l’éducateur soit en mesure de décortiquer l’histoire en apprenant les techniques cinématographiques. Personne ne peut nier pourtant que le rejet est une manière de fuir ses responsabilités. C’est vrai que les récits d'« Ali » l’instituteur sont une trace réelle du calvaire de l’éducateur dans le milieu rural. L’affectation est mauvaise et les conditions de vie et de travail ne permettent guère la réussite de l’acte "enseignement apprentissage". L’enseignant n’a ni classe, ni tables. Il est obligé de suivre ses élèves partout où ils campent car ce sont des nomades. Le maître de « Ras Labghal », quant à lui, se trouve face à des élèves turbulents qui refusent toute forme de contrainte. L’usage du bâton pour la maîtrise de la classe nous rappelle « le bon vieux temps » et nous fait comprendre que rien n’a changé depuis. L’instituteur mange en classe et devient la risée de ses élèves. Il n’a pas le choix car il n’a pas où aller pour se restaurer. "Comment peut-on donc réussir un enseignement qualitatif ?" semblent dire les récits allégoriques dont il est question. Ces passages abîmés n’accusent pas uniquement les responsables. C’est un discours destiné à éveiller la conscience de l’éducateur. En effet, rien ne justifie l’irresponsabilité de certains de nos concitoyens, qui, malheureusement occupent des postes clefs et dont la conduite peut mener au désastre. Ces mêmes discours font allusion au travail des hauts responsables dans le secteur éducatif. Faute de contrôle de la situation, on risque de vivre dans l’anarchie. Ali présente à ses élèves des films au lieu de leur apprendre à lire et à écrire, surtout dans les classes primaires. Le hic, c’est qu’il a fait de cette pratique une distraction lucrative : les élèves payent pour voir les films avec leur maître. Pourquoi Ali agit-il ainsi ? Tout simplement car il ne court aucun risque d’être inspecté dans « Le Rif » avec ses élèves nomades. La situation est si drôle, qu’elle paraît remettre en question notre conception de « la citoyenneté ». Le rejet, en outre, peut être lu comme une caractéristique absurde de l’esprit oriental. L’homme est tiraillé entre contrainte et désir. Les familles sont apparemment conservatrices et l’expression «Hchouma» trône depuis toujours. Cela dit, les rapports jugés illégaux sont là pour jouer au bras de fer avec les contraintes, plutôt avec la culture orientale. « Ras Labghal » vit une histoire d’amour avec la sœur de « Ali ». Personne ne s’en rend compte à la maison. La relation doit normalement déboucher sur un mariage vu les habitudes et les croyances des habitants du village. L’anecdote connaît pourtant une autre suite. « Tête de mule », après avoir abusé de sa bien-aimée, refuse toute sorte d’engagement. C’est là un trait majeur qui caractérise la pensée orientale. L’homme se sent toujours pris au piège auprès d’une femme quand leur relation dure et doit déboucher sur un mariage. Saïd, fidèle à la tradition, ne se voit pas prêt pour s’engager officiellement avec la personne qu’il a cependant aimée. "Quelle culture te fait donc croire que tu es victime de tes propres victimes ?" semble dire le récit de Hamid Qabbal. Une note d’espoir domine cependant la situation finale. La maturité de Saïd, vers la fin, se traduit par le choix du métier d’enseignant et la résolution d’épouser la sœur de Ali. Saïd est conscient des difficultés rencontrées et en classe et à la maison. Mais une voix intérieure l’interpelle et éveille sa conscience en lui montrant le chemin à suivre. Il devient ainsi l’antithèse de «Ali». La fin de l’histoire privilégie l’engagement. Les valeurs morales trônent et triomphent alors que l’irresponsabilité se perd comme l’illustre la mort de « Ali ». Le rejet, vers la fin de l’histoire, prend une autre dimension. Saïd abandonne les idées saugrenues et choisit d’être responsable. Le roman de Hamid Qabbal soulève des questions d’une très grande importance, surtout pour une culture en pleine mutation comme la nôtre. Il confie au lecteur la tâche de trouver les réponses adéquates pour éviter les faux pas à l’avenir. L’histoire est si passionnante que tout lecteur, quelle que soit son origine ou sa culture, ne peut cesser d’être émerveillé en pensant que partout ailleurs, l’expérience humaine est la même. L’espace change, le temps aussi, mais pas l’esprit. On conserve encore les mêmes ambitions, les mêmes fantasmes et surtout la même destinée tragique. Le roman, nous le rappelons, est écrit en anglais. Et c’est là encore, un about majeur puisque les écrits marocains en anglais sont rares. Or, la langue de Shakespeare jouit de statut de la langue internationale par excellence. Ne serait-il donc pas avantageux de programmer dans nos lycées une œuvre qui valorise notre patrimoine culturel ?